Marine Joatton
par Jean-Luc Chalumeau
Marine Joatton, à la fois diplômée de Sciences Po Paris et des Beaux-Arts, est née en 1972. Son exposition intitulée Un air de famille au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne en 2016 a permis de donner la mesure d’une artiste puissamment originale, totalement peintre, qui reconnaît, parmi ses grands prédécesseurs, l’importance de Picasso. En témoigne son huile sur papier « Picasso » (2015) dans laquelle l’artiste fait allusion au terrible regard vide de l’Autoportrait du 30 juin 1972 dans lequel Picasso se voyait déjà mort. Mais là s’arrête l’emprunt : ce Picasso-là sourit avec férocité, un petit bonhomme s’intègre à la composition. La même année, Marine Joatton a peint d’autres huiles sur papier (Patriarche, Cubiste…) qui attestent d’une conception de la peinture proche de celle du vieux maître de Mougins qui lui permet de rester elle-même. Il semble que, comme ce dernier, elle a réussi à se débarrasser de « l’art » pour rejoindre la seule peinture. « Moins il y a d’art et plus il y a de peinture » disait Picasso à son amie Hélène Parmelin. Il avait écrit sur un carnet de croquis, le 27 mars 1963, des lignes que Marine Joatton a dû méditer : « La peinture est plus forte que moi, elle me fait faire ce qu’elle veut ». Oui, mais Marine ajoute que pour elle la peinture est comme un cheval qu’elle aurait enfourché : il est plus fort qu’elle, certes, mais elle le guide. Dans ses Bouquets de têtes comme tout récemment dans ses Merdons, on voit bien que l’artiste a gardé le contrôle de sa démarche. Il n’empêche : elle appartient au petit nombre des peintres qui, à la suite de Picasso, ont renversé les rapports entre l’artiste et son œuvre. A propos de Picasso, Marie-Laure Bernadac a noté qu’il était parvenu « au point que l’homme est tout entier dans la peinture et que celle-ci semble vivre de sa propre substance, s’autogénérer… » On pourrait en dire autant de la façon dont Marine Joatton, comme malgré elle, aborde sous nos yeux la question de la peinture qui décidément est très loin d’être morte.

Christophe Cartier


